Nova et Vetera, vol. 96, 3 / 2021

Nova et Vetera, n. 96, 3 / 2021

 

La théologie politique de saint Thomas d’Aquin à Jean-Paul II et Benoît XVI

François Daguet, OP

L’époque contemporaine incite à découvrir l’importance d’un regard théologique sur la réalité politique, celle des personnes dans leur dimension communautaire, et celle des communautés de personnes. Saint Jean-Paul II et son successeur Benoît XVI ont manifesté l’intérêt qu’ils portaient à cette question et l’importance qu’ils lui reconnaissaient, à travers de multiples textes de leur magistère. Si les fondements récents d’une théologie du politique sont peu nombreux, il apparaît que les écrits de saint Thomas d’Aquin sont d’une grande richesse à cet égard. Ils peuvent, si l’on y prête attention, apporter les principes pérennes dont la théologie contemporaine a besoin.

 

De la connaissance de soi à l’expérience de Dieu

Étienne Harant, OP

L’intellect humain peut faire retour sur lui-même. Cette capacité est bien le propre d’un esprit. Par le biais d’un acte d’intellection d’un objet qui nous est extérieur, nous sommes capables de nous savoir existant. Seulement le moyen d’y parvenir n’apparaît pas évident. En nous fondant sur les principes de l’épistémologie de saint Thomas d’Aquin nous tentons d’explorer cette piste. De plus, il nous semble qu’un apport phénoménologue donne à la question une ampleur plus large. Les observations concernant cette conscience de soi-même nous invite à mettre en parallèle cette connaissance avec celle que nous pouvons avoir de Dieu. Après avoir rappelé les différentes présences de Dieu à sa création, et les expériences qui en découlent, nous proposons d’établir une analogie entre la conscience de soi et l’expérience de Dieu. Il semble même que cette capacité à faire retour sur soi-même soit un aspect déterminant de l’image de Dieu en l’homme, et donc un moyen de l’atteindre dans une unique expérience : de soi-même à JE SUIS.

 

Le philosophe Yves R. Simon, disciple de Jacques Maritain

Bernard Hubert

Né en 1903 à Cherbourg, étudiant à Paris dès 1920 jusqu’à l’obtention de son diplôme supérieur de philosophie de la Sorbonne en 1923, Yves Simon se rapprocha un temps du mouvement de la Jeune République dans les années 1923-1924. Dès 1924 il fréquenta les réunions de Meudon tout en s’intéressant au philosophe P.-J. Proudhon. À partir de 1927, Yves Simon se forma à la philosophie scolastique à l’Institut catholique de Paris et l’acquisition de son solide habitus philosophique se poursuivit sous la houlette de Jacques Maritain jusqu’à la soutenance de sa thèse en 1934 et la publication de ses deux premiers ouvrages : Introduction à l’ontologie du connaître et Critique de la connaissance morale. Professeur de philosophie à l’Institut Catholique de Lille à partir de 1930, Yves Simon fut un précieux collaborateur de Jacques Maritain pour un thomisme vivant de 1934 à 1938, année où il émigra aux États-Unis pour enseigner la métaphysique thomiste à l’Université Notre Dame (Indiana).
Aux États-Unis les recherches d’Yves R. Simon portèrent sur l’autorité. Puis dès l’arrivée de Jacques Maritain à New York en 1940, ses écrits comme La Grande Crise de la République française (1941), La Marche à la délivrance (1942) et Par delà l’expérience du désespoir (1945) pour soutenir la Résistance avec les armes de l’esprit en élaborant une pensée politique à destination de la France, resserrèrent les liens et les travaux du disciple avec son maître sur les sujets de philosophie politique. Sans abandonner ses travaux de philosophie des sciences (Prévoir et savoir, 1945), Yves R. Simon joua le rôle d’un véritable lieutenant de Maritain dans la polémique entre thomistes qui éclata à la suite du livre de Charles De Koninck, De la primauté du bien commun contre les personnalistes (1943). Nommé membre de l’Académie romaine Saint-Thomas d’Aquin en 1947, Yves Simon intensifia ses travaux sur les questions de philosophie politique lorsqu’il fut nommé en 1948 professeur au « Committee on Social Thought » de l’Université de Chicago, au moment où Jacques Maritain revint aux États-Unis pour enseigner à Princeton à la fin de son ambassade auprès du Vatican. Leur amitié de combat se concrétisa alors par la publication quasi simultanée en 1951 à l’University of Chicago Press de leurs ouvrages respectifs Man and the State pour Maritain et Philosophy of Democratic Government pour Yves R. Simon. Les travaux du philosophe Yves R. Simon s’élargirent aussi aux questions de philosophie morale (Traité du libre arbitre, 1951) et aux questions de logique (The Material Logic of John of St. Thomas, 1955), mais il ne put achever son projet d’encyclopédie philosophique (Philosophical Inquiries) en raison de son décès prématuré le 11 mai 1961.
La relation exceptionnelle entre Yves R. Simon et Jacques Maritain se caractérisa par une profonde attitude de libre docilité inventive à l’égard de la ligne doctrinale représentée par Jacques Maritain, lequel l’accompagna tout au long de leur dialogue amical épistolaire (1927-1961) et le considéra « comme un fils » et « un frère d’armes ». Tous les deux « unis par la foi et l’amitié et par les idées philosophiques », ce disciple de Jacques Maritain mérite bien d’être surnommé : Yves de Jacques de Jean de Gaëtan de Dominique de Reginald de saint Thomas.

 

Laudato si’: pour une spiritualité de l’écologie intégrale

François-Xavier Amherdt

Parmi les documents plaidant en faveur d’un changement dans notre rapport à la nature, nul doute que l’encyclique du pape François Laudato si’ (LS) sur l’écologie intégrale fait entendre une invitation à quitter le paradigme technocratique selon lequel l’être humain se considère comme le maître de la terre, pour adopter une posture chantée par le premier livre des Écritures : l’homme et la femme sont placés par Dieu dans le jardin de la création pour le cultiver et le garder, non pour l’exploiter ni le dominer (Gn 2,15). L’article décline 10 appels pour une conversion écologique, en une sorte de « décalogue » d’une spiritualité globale branchée sur le cosmos : 1) notre « maison » commune brûle ; 2) une justice climatique et sociale est requise, car tout est lié ; 3) elle doit être assortie d’un regard contemplatif sur l’ensemble des créatures ; 4) portée par une réflexion philosophique et théologique œcuménique et interreligieuse ; 5) en vue d’un changement de modèle anthropologique ; 6) or nous sommes tous responsables ; 7) une éducation à la sobriété est donc indispensable ; 8) débouchant sur des initiatives concrètes, y compris chrétiennes ; 9) selon une attitude spirituelle ; 10) dans l’action de grâce.

 


 

NOTES ET LECTURES

 

Les célibataires dans l’Église : un état de vie à part entière ?
Dialogue avec Olivier Bonnewijn

Alexandra Diriart, CSJ


Le livre d’Olivier Bonnewijn, « J’existe ! » Un autre regard sur les célibataires est bienvenu, non seulement en raison de la croissance exponentielle des célibataires, mais aussi parce qu’il ouvre avec courage la question délicate de la qualification ecclésiologique des célibataires dans l’Église. L’ouvrage propose une réflexion positive sur le célibat souvent présenté par la négative comme un célibat non choisi et non consacré, voire parfois comme un « non-état de vie ». L’objectif est de mettre en lumière la consistance anthropologique, sacramentelle et ecclésiale de cette forme de vie. À travers une démarche interdisciplinaire, l’A. décline le thème dans l’Église selon une perspective existentielle et historique, une approche anthropologique et métaphysique, sacramentelle et spirituelle, éthique, psychologique et enfin ecclésiologique. Après une présentation des six chapitres composant l’ouvrage, cette note de lecture entre en dialogue avec l’auteur, notamment sur la question de la qualification du célibat comme état de vie à part entière qui n’est pas sans poser de problèmes et à laquelle il faudrait sans doute préférer celle d’ordo ecclésial ou de forme de vie.

 

Bibliographie


Pierre Damien, Le livre de Gomorrhe – Philippe Lefebvre, Comment tuer Jésus ? Abus, violences et emprises dans la Bible – Emilio Brito, Accès au Christ – Christian Trottmann, Bernard de Clairvaux et la philosophie des Cisterciens du XIIe siècle – Mireille Hadas-Lebel, Les Pharisiens dans les Évangiles et dans l’Histoire.